Par Dany Rousseau :

J’ai fait la connaissance de Boris Vian au Cégep et ce fut pour moi une révélation. Son humour, sa créativité, son sens de l’absurde et ses univers éclatés ont provoqué chez le jeune que j’étais à l’époque une grande fascination. Lorsque je suis tombé sur l’adaptation en bande dessinée de L’automne à Pékin (Futuropolis) des frères Gaëtan et Paul Brizzi, j’ai été évidemment interpellé. N’ayant pas revisité l’œuvre du poète-musicien-écrivain-roi-de-Saint-Germain-des-Prés depuis vingt ans, j’ai eu le goût d’y revenir en espérant tenir entre les main une bonne adaptation.
Comme le disait si pertinemment son auteur, dans L’automne à Pékin, on ne parle ni d’automne, ni de Pékin. Dans une cave parisienne de la Rive gauche en 1953, deux ingénieurs Anne et Angel (oui les garçons portent des noms de fille) dépriment en constatant que leur carrière ne va nulle part. Avec Rochelle, la copine d’Anne, les trois jeunes tentent d’oublier leurs problèmes en buvant et dansant comme des dératés sur la musique jazz de Saint-Germain. Une fois la soirée terminée, tout le monde rentre à la maison en voiture. Cependant, alors que la séduisante Rochelle déconcentre son amoureux, celui-ci happe accidentellement un piéton. Paniqué, le trio sort du véhicule convaincu que le pauvre homme qui git sur le bitume a passé l’arme à gauche. Heureusement, ils seront rapidement rassurés en voyant que le supposé macchabée se relève tout naturellement en blaguant et en souhaitant continuer sa route. Anne, Angel et Rochelle devront insister pour l’amener aux urgences. L’homme se présentera comme étant Cornélius Onte, ingénieur pour la célèbre firme Wacco.
Une fois vu par le docteur Mangemanche et plus amoché qu’il ne paraissait, Onte demandera aux deux ingénieurs de réaliser pour lui le mandat qu’il devait exécuter dans les prochains mois. Acceptant l’offre, Anne et Angel, accompagné de la belle Rochelle comme secrétaire, se rendront dans le désert d’Expotamie pour Wacco afin d’y construire une voie ferrée sous les ordres du chef de chantier Ammadis Dudu, un homme dur et rigide.
Avec plus d’une dizaine d’ouvriers, Anne et Angel débarqueront au milieu du désert pour accomplir leur tâche. Ils logeront tous dans le singulier hôtel du senior Barrizone qui constitue le seul point habité sur des centaines de kilomètres à la ronde. Chez le sympathique hôtelier qui cuisine la meilleure bolognaise d’Exopotamie résident aussi une petite équipe d’archéologues et un curé qui se mélangeront à la bande de Wacco. Une fois toutes les infrastructures mises en place, les travaux iront bon « train » jusqu’à ce que les deux ingénieurs s’aperçoivent que le tracé prévu du rail doit passer en plein centre de l’hôtel de Barrizone. Dans un désert plat et sans obstacle, ce détail aurait pu être facilement corrigé en détournant de quelques mètres le trajet. Mais la rigidité d’Ammadis Dudu qui refusera de déroger du plan, peu importe les conséquences, transformera la situation en délire.

Tout au long de ma lecture, j’ai senti avec un grand plaisir que je ne m’étais pas trompé d’adresse. Les Brizzi m’avaient bien raccompagné chez Boris Vian, où les événements sont souvent absurdes et semblent n’avoir aucun sens. Dans l’univers de ce créateur de génie, on soigne les chaises, les aéromodélistes sont médecins, on use les filles à trop les embrasser, les curés gèrent des paroisses sans paroissien et les trains ne vont nulle part. Cependant, il ne faut pas être dupe. Malgré les apparences de grosse déconnade, les écris de Vian ont parfois un message à nous transmettre… ou pas. Avec les doubles sens, les jeux de mots et les propos décousus des dialogues, celui qui lit Vian doit être toujours en alerte pour ne rien manquer. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’avec ce dernier, les relectures ne sont jamais superflues.
C’est avec joie que j’ai retrouvé dans l’adaptation des frères Brizzi tous les éléments qui constituent la moelle épinière de l’œuvre. Le travail de mise en case et de découpage est réussi avec brio. En feuilletant l’album, nous sommes étonnés de réaliser à quel point Vian épouse naturellement les formes du 9e art. Le dessin, pour sa part, trouve tout son intérêt dans sa façon de rendre complètement justice à la galerie de personnages loufoques, affublés de noms tout aussi épatant qui font la spécificité de Vian. Bref, L’Automne à Pékin des Brizzi est la bédé parfaite pour redécouvrir ce grand artiste qu’a été Boris Vian.
8.5/10
L’Automne à Pékin : d’après Boris Vian
Auteur : Gaëtan et Paul Brizzi (scénario et dessins)
Éditeur : Futuropolis (2017)
116 pages