Par Dany Rousseau :

Paru en 2014 en couleur, Les gardiens du Louvre que Jiro Taniguchi avait réalisé pour le compte de la collection du Louvre chez Futuropolis est réédité aujourd’hui en format original japonais, c’est-à-dire avec un sens de lecture de droite à gauche et en noir et blanc. Le maître tokyoïte profite du thème imposé par l’éditeur pour nous raconter l’histoire d’un mangaka de passage en Europe qui décide de prendre cinq jours de repos en solitaire à Paris avant de rentrer dans son pays. Durant ces petites vacances, le jeune homme s’est promis de dévorer les musées et en particulier celui du Louvre qu’il n’a jamais visité. Cependant, le destin en décidera autrement. Le premier matin de son séjour, la fièvre le cloue au lit et l’artiste doit rester à l’hôtel. Se voyant vulnérable, malade et isolé dans cette chambre, dans un pays étranger dont il ne parle pas la langue et où il ne connait personne, l’angoisse le happe. L’homme est dégouté par le mauvais tour que lui joue son corps. Heureusement, le deuxième matin après une bonne nuit de sommeil il se sent un peu mieux. Il réussit à sortir, à manger et à se rendre au Louvre. Il est étourdi par la foule impressionnante de touristes qui fait la queue au pied de la pyramide de verre du célèbre musée et dans les galeries du Carrousel entre un Apple Store et une boutique Nature et Découverte. Une fois passé le guichet, dans un coin un peu plus calme, il est pris de vertiges. Il devra s’assoir avant de perdre conscience.

Lorsqu’il se réveillera, rien ne sera plus pareil; le musée sera désert et une dame habillée plus ou moins comme Catherine de Médicis — figure mythique de l’ancien palais royal Renaissance — lui expliquera qu’il se trouve présentement dans les limbes oniriques de son imagination. Elle se présentera comme étant la Victoire de Samothrace, la statut de femme ailée qui trône en haut de l’escalier principal du pavillon Denon. Selon la dame, chaque œuvre du musée est habitée par un esprit comme elle.
C’est à partir de cette amorce que Taniguchi nous entraine dans une aventure contemplative au cœur du plus grand musée du monde. Par le biais de cette errance onirique, il nous fait découvrir des œuvres et des artistes comme Corot, Van Gogh ou le peintre occidentaliste japonais Asai Chû. Le héros voyagera dans le temps et l’espace toujours accompagné par la Victoire qui le guidera sans rien imposer. L’homme croisera même Saint-Exupéry en pleine deuxième guerre mondiale dans un Louvre vide. L’écrivain lui racontera comment Jacques Jaujard, le directeur des musées nationaux de l’époque, coordonna de façon héroïque l’évacuation de toutes les œuvres, d’août à décembre 1939, afin de les protéger d’une invasion allemande qui surviendra en juin 1940.
Avec son récit lent et son dessin académique Taniguchi fait du Taniguchi et nous n’en demandons pas plus. Même si la poésie et le rythme contemplatif prennent une grande place dans l’action, le lecteur intéressé apprendra dans ce manga une foule d’information en histoire de l’art. Si la trame narrative peut paraître erratique à certains moments, les admirateurs du maitre se laisseront entrainer volontiers dans le voyage intérieur auquel le regretté mangaka les convie (l’artiste nous a quitté en février 2017). Si cet opus n’est pas le meilleur de l’abondante bibliographie de Taniguchi, Futuropolis en fait cependant une belle réédition qui vaut le détour, agrémentée d’une jaquette illustrant la guide du récit.
7.5/10
Les gardiens du Louvre
Auteur : Jiro Taniguchi
Éditeur : Futuropolis/Édition du Louvre (2017)
176 pages