Lemire et Angoulême 2020

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Réflexion. Après presque deux ans où l’ami Dany a porté à bout de bras notre Bdmétrique bien-aimé, nous nous sommes donnés comme mission de lui redonner un peu de lustre et surtout, de vous proposer davantage de contenu, ce mélange d’informations rigoureuses et de critiques intraitables que vous adorez tant, infatigables lecteurs. Voilà. C’est dit.

Jeff Lemire en cinq bédés par Mathieu T

Après avoir terminé la lecture du tome 6 de Descender, une formidable série d’anticipation qui traite de la ligne fragile entre l’homme et la machine, je me suis dit : « crime, il a encore réussi le bougre. » Parfois à la table à dessins, souvent aux idées, peu de ratés dans la bibliographie de Lemire qui est un des rares bédéistes à avoir travaillé pour DC, Marvel, Vertigo, Image, Valiant et Dark Horse. Pour ceux qui ne connaissent pas encore cet extraordinaire artiste canadien, je propose de le découvrir en cinq bédés.

 

Essex County (Top Shelf Production)

Sans contredit le chef d’œuvre absolu de Lemire et un livre important dans la littérature canadienne. Essex County, c’est l’histoire en noir et blanc de l’Ontario rural et du hockey mineur, mais aussi du destin de ces petites gens. Le trait typique de Lemire prend toute son essence ici. Profond, touchant et poétique.

Green Arrow (DC Comics)

Collant vert, petite moustache à la Clark Gable, flèche à la main et carquois au dos, Green Arrow est loin d’être le héro le plus sexy en ville. Pourtant Lemire, accompagné d’Andrea Sorrentino au dessin, réussit l’impossible tâche de construire une fascinante mythologie autour du personnage et de sa métamorphose en justicier moderne en inventant, entre autres choses, les Outsiders et le clan de la Flèche.

Gideon Falls (Image)

La bande dessinée d’horreur ne date pas d’hier (pensez Tales from the crypt de 1950) et a vécu des hauts et des bas. Depuis quelques années, elle revient à la charge mariant différents genres. Voilà que l’ami Lemire, toujours avec Sorrentino, décide de nous raconter avec subtilité la déchéance d’un homme nommé Norton Sinclair. Toujours en cours, la série de Lemire flirte avec Twin Peaks pour notre bon plaisir.

Sweeth Tooth (Vertigo)

Le monde a été dévasté par une curieuse maladie qui tue sans discernement. Pourtant, les signes avant-coureurs étaient présents, car de nombreuses femmes ont accouchés d’enfants avec des attributs d’animaux avant la grande catastrophe. Sweeth Tooth est l’un de ceux-ci, bois de chevreuil sur la tête. La magie de Lemire fonctionne à merveille, mélangeant habilement univers post-apocalyptique violent et quête personnelle.

Black Hammer (Dark Horse)

Après avoir combattu et vaincu un anti-dieu, six superhéros sont projetés dans une petite bourgade américaine figée dans les années soixantes. Le hic ? Ils ne peuvent en sortir sans mourir. Dix ans s’écoulent. Une perspective complètement différente et bouleversante du monde ultra-chargé des surhommes.

Angoulême kaléidoscope par Nicolas Otis

Le 30 janvier dernier s’est ouverte la 47e édition du Festival de la bande dessinée d’Angoulême en France et qui s’est déroulée jusqu’au 2 février. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le festival d’Angoulême est un peu à la bande dessinée ce que le Festival de Cannes est au cinéma. C’est le festival francophone le plus important au monde. Chaque année, une quarantaine d’œuvres en compétition officielle sont en lice pour le prestigieux Fauve d’or remis au meilleur album de l’année. Cette sélection comprend tous les genres de bandes dessinées : des séries populaires aux carnets d’auteur, des comics américains aux œuvres plus expérimentales ou du franco-belge aux mangas. La compétition ratisse extrêmement large et propose un échantillon varié et international de la production annuelle. Je vous propose de faire un retour sur le volet nippon de la programmation 2019.

Blue Giant, tome 3, de Shinichi Ishizuka

La série Blue Giant est un exemple typique de manga à thème semi-documentaire. Très populaire dans la planète manga, ce genre s’adresse généralement à un public adolescent et met en scène des personnages dont le seul rôle est de faire-valoir le thème vedette. Le modèle est simple : un personnage néophyte s’initie à un domaine qu’il ne connait pas et qui le passionne, et chaque chapitre est une occasion d’ajouter des éléments d’information pertinents. Le choix des sujets est vaste, allant par exemple du monde vinicole (Les gouttes de Dieu) à l’alpinisme (Vertical). Dans ce cas-ci, le jazz est à l’honneur. Disons-le franchement, Blue Giant est à mes yeux d’un ennui mortel. L’intrigue est prévisible et cousue de fil blanc. D’une vertu à toute épreuve, les personnages font preuve d’une persévérance sans faille et relèvent, sans surprise, tous les défis sur le chemin de leur nouvelle et unique passion. Malgré tout, la série n’est pas bien méchante, mais extrêmement convenue.

La cantine de minuit, tome 3, de Yaro Abe

Un billet a déjà été consacré à cette merveilleuse série coup de cœur. Consultez nos archives du 28 novembre dernier pour en savoir davantage.

Les Chefs-d’œuvre de Lovecraft – Les Montagnes hallucinées, tome 1 de, Gou Tanabe

De loin le meilleur élément de cette sélection 2019, Les Montagnes hallucinées est le premier ouvrage d’une série d’adaptation de l’œuvre du maître de l’horreur, l’auteur américain H. P. Lovecraft. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec celui-ci, soyez sans crainte, la connaissance de son œuvre n’est pas du tout un préalable à la compréhension et l’appréciation du manga. Au contraire, la série se révèlera peut-être une porte d’entrée vers ce vaste univers littéraire et cinématographique issu de l’imagination de Lovecraft. Le récit relate l’expédition scientifique d’une équipe de géologues, menée par le professeur William Dyer en Antarctique. Les découvertes qu’ils y feront vous glaceront le sang. Les Montagnes hallucinées fait partie de l’univers du Mythe de Cthulhu, imaginé par Lovecraft. Contrairement aux autres mangas, le livre, plus grand qu’à l’habitude, possède une couverture en similicuir, qui lui donne l’apparence d’un vieux grimoire. Les planches de Gou Tanabe sont aussi magnifiques que terrifiantes. La série Les Chefs-d’œuvre de Lovecraft s’impose comme un nouvel incontournable dans l’univers manga. Parions que le prochain volume, L’Abime du temps, ne sera pas ignoré dans le palmarès de l’édition 2020 du festival.

Pline, tome 5 : Sous les vents d’Éole, de Tori Miki et Mari Yamazaki

Un brin semblable à Blue Giant dans son genre, Pline appartient à la catégorie semi-documentaire historique. La série présente une version romancée de la vie et des travaux de Pline l’Ancien, écrivain et naturaliste romain du 1er siècle apr. J.-C. Il est notamment l’auteur de l’imposante encyclopédie intitulée Histoire naturelle. En plus de Pline, la série fait également référence à de nombreuses personnalités historiques, politiques, artistiques et scientifiques de cette époque. Elle dresse un portrait riche et diversifié de l’Empire occidental à ce stade de son évolution. Point très intéressant, l’auteur joint à une certaine rigueur historique les éléments fantastiques contenus dans l’Histoire naturelle de Pline. Malgré cela, Pline manque d’une certaine universalité dans son traitement et risque de ne satisfaire que les passionnés d’histoire antique. La trame narrative, un peu confuse, manque quelque peu de rythme. Bien qu’elle soit peut-être trop nichée, cette fresque historique n’est néanmoins pas sans intérêt.

Saltiness, tome 3, de Minoru Furuya

Saltiness est une mini-série de quatre tomes qui relate la quête de Takehiko, un jeune homme qui fuit sa famille pour ne plus être un fardeau pour celle-ci. Ce dernier entame un voyage, ou plutôt une fugue, qui l’amènera à côtoyer d’autres personnages tout aussi originaux et mésadaptés que lui. Il sera tour à tour livreur, homme à tout faire et même gourou spirituel. Sous des excès de grossièretés de langage, des personnages délirants et un ton soi-disant anticonformiste, Saltiness s’avère une œuvre très quelconque. La volonté de l’auteur d’être irrévérencieux et agressif à outrance rend le récit indigeste et puéril. Loin de la série coup-de-poing annoncée, on se demande ce que l’auteur voulait vraiment exprimer. C’est raté.

Charivari, de Maki Sasaki

Charivari, en compétition dans la catégorie patrimoine, est une compilation des œuvres de Maki Sasaki, de 1967 à 1981. L’auteur, étroitement associé à la littérature jeunesse au Japon, est un véritable ovni sur la planète manga. Ses planches rappellent celles du bédéiste québécois André Montpetit, par leur esthétique et l’engagement politique qui les habite, et celles de Fred, grâce à une imagination complètement déjantée. Les comparaisons sont nombreuses, mais une chose est sûre, l’œuvre de Sasaki mérite d’être connue et reconnue.

L’atelier des sorciers, tome 1, de Kamome Shirahama

Cette charmante série destinée au lectorat féminin, en compétition dans la catégorie jeunesse, est tout sauf mémorable. Elle présente une variante de l’académie de magie à la Harry Potter, dans laquelle évolue une petite fille qui découvre les possibilités infinies de la magie. C’est gentil, sans plus.

Aucune de ces bandes dessinées ne figure dans le palmarès du festival. Du lot, seules l’œuvre de Gou Tanabe sur Lovecraft et La Cantine de minuit auraient mérité une nomination au titre de la meilleure série. On se tourne donc déjà vers l’édition 2020, qui fera l’objet d’un billet dans les prochaines semaines. À bientôt!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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