par Nicolas Otis –
Ville de Pantin, 1964. Dora se rend en Finlande, en Belgique et en Écosse dans le but de recueillir les témoignages de trois suspects importants afin de traduire en justice les responsables du camp d’internement nazi de Drancy, plaque tournante de la politique de déportation antisémite en France lors de la Deuxième Guerre mondiale. Mais avant toutes choses, remettons en contexte, puisque cette chronique porte sur le quatrième tome de cette fantastique série : Dora. L’histoire commence quatre ans plus tôt, en 1960, dans le Berlin de l’après-guerre. Dora, notre héroïne, travaille comme archiviste au Berlin Document Center, fonds d’archives destiné à la collecte des documents de l’époque nazie, nécessaires à la préparation des procès de Nuremberg contre les criminels de guerre. Née d’une mère franco-marocaine et d’un père juif séfarade mort aux mains des nazis, elle se sent personnellement interpellée par sa tâche. Elle entreprend donc de monter son propre fonds d’archives en photographiant tout ce qu’elle peut avant que le centre d’archives ne passe sous contrôle américain, et qu’elle perde son emploi et son accès précieux. Quand elle est finalement contrainte de partir, elle s’assure toutefois d’emporter quantité de documents.
Dora finit par quitter Berlin pour rejoindre sa mère à Bobigny, dans la région parisienne. Les tensions en France sont alors extrêmement vives à l’aube de l’indépendance de l’Algérie. Un climat de répression règne au sein des communautés nord-africaines. Dora y fréquente une galerie de personnages hauts en couleur qui prennent part à son éveil politique et sexuel. Elle rencontre Geneviève, une jolie gitane qui deviendra son amante, et Béatrice Roubini, avec qui elle trouvera sa véritable vocation, la chasse aux nazis en fuite. Dès lors, son destin bascule. La traque commence. Elle déterre à cette occasion ses photos d’archives nazies qui se révéleront être une mine d’or d’informations.
Au fil des quatre tomes de la série, l’auteur argentin Minaverry tisse la trame d’un récit historique et documentaire absolument passionnant. Il nous transporte dans le contexte géopolitique de l’après-guerre en Europe et en Argentine. Il faut savoir que l’Allemagne nazie et l’occupation coloniale française en Algérie ont été le théâtre de crimes de guerre dont les auteurs n’ont pas été jugés dans leur pays d’origine. Par un admirable travail de mémoire et de rigueur historique, l’auteur traite notamment du fait que ces nations ont négligé de faire appel à la justice pour condamner ces criminels pour les horreurs commises lors des guerres et des génocides. Comme le rappelle Minaverry en entrevue, l’Argentine garde un souvenir particulièrement amer de la participation des militaires français à l’entrainement de la junte militaire argentine à la fin des années 1950. Le régime péroniste avait également accueilli les officiers nazis déchus à la même époque. C’est sur cette toile de fond que se déroule le récit.
Par ailleurs, Dora se révèle être un personnage féminin singulier et attachant. Résolument féministe, elle incarne une personnalité forte, riche et complexe de par ses origines, son identité sexuelle, son caractère et sa quête. Les magnifiques illustrations en noir et blanc sont empreintes de sobriété et viennent contrebalancer un récit dense et étoffé. Dans la structure narrative très imaginative, à des milles des longs exposés didactiques, se succèdent des moments de contemplation émotive et des séquences d’action qui rappellent les films d’espionnage. Sexualité, politique, art et suspense se mêlent en un kaléidoscope de voyages et d’aventures rocambolesques.
Éditée chez L’Agrume, une jeune maison d’édition en pleine ascension, la série, toujours en cours, compte actuellement 4 tomes. Elle a été pour moi la révélation de 2019. Nous attendons les prochaines œuvres de Minaverry avec impatience.