Mathieu T –
Permettez-moi de voyager un peu dans le temps. Août 2019. Une bédé se présente sur les tablettes de votre libraire préféré et provoque l’engouement général ; la première édition de son truculent récit et extraordinaire visuel se vend à plus de 120 000 exemplaires. Vous aurez probablement reconnu Les Indes fourbes publié chez Delcourt que je mettrai à mon tour à mon tableau de chasse.
L’idée de base est lumineuse. Écrire la suite de El Buscon, un roman picaresque créé par le grand Francesco de Quevedo y Villegas paru en 1626 et qui raconte les incroyables aventures du bon-à-rien de Don Pablos. Le scénariste Alain Ayroles est d’ailleurs un habitué des folles histoires épiques puisqu’il est l’auteur de la formidable série De capes et de crocs. Et qui de mieux que l’inimitable Juanjo Guarnido (Blacksad) pour construire un univers riche et vivant.
La table est mise pour moi mais voilà. Comment vous dire. Pas que ce n’est pas bon, loin de là, mais pour être franc, je me suis joyeusement ennuyé. Écartons tout-de-go le fantastique travail du dessinateur espagnol. De la couverture à la dernière page, les images de Guarnido sont un plaisir pour les yeux : références multiples à de nombreux tableaux classiques, expressions des personnages, soucis du détail (regardez simplement les vêtements des acteurs de cette tragi-comédie), nous avons entre les mains un véritable travail d’orfèvre et la preuve par mille qu’une bédé peut obtenir le statut d’œuvre d’art.
Pourtant, en reprenant les aventures de Don Pablos, Ayroles s’offrait un monde de possibilités, mais comme un jongleur qui tente d’en faire trop, il a échappé son numéro. Je m’explique. Le hic (je sais parfaitement que la majorité d’entre vous, amis lecteurs, ne serez pas d’accord avec moi, ce qui est le sel de toute discussion) est que je me demande si le style picaresque sied bien au format bédé. À chaque page, ça saute, ça coure, ça crie, ça jase, ça change d’époque ; mon dieu que le scénario est tapageur ! Et ce n’est pas du travail bâclé, au contraire ; Ayroles a su se coller au genre et en imprégner parfaitement son histoire, ce qui n’empêche pas le résultat d’être bouffi et de provoquer un curieux repli du cerveau trop nourri.
À cette pétarade se greffe un récit à tiroir où les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être (coucou The Usual Suspects), ce qui ajoute à la tornade d’informations qui agresse nos neurones. Bien sûr, je comprends que l’un peut trouver cette approche géniale ; l’autre a vite trouvé l’ensemble indigeste. Et la finale est, ma foi, impayable et ridicule (même si elle raccorde astucieusement avec l’introduction du bouquin).
Les Indes fourbes est une bédé à lire, certes, mais comme un film de Kubrick visionné en accéléré, j’ai eu toutes les misères du monde à accrocher à cette pluie d’aventures.
7/10
Les Inde fourbes
Auteurs : Alain Ayroles (scénario) Juajo Guarnido (dessins)
Éditeur : Delcourt
2019
Je suis assez d’accord avec toi. En deuxième lecture, on en profite d’autant plus !
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Une bédé très difficile à « critiquer » vu l’énorme quantité de travail des auteurs. Mais bon, il faut laisser parler son coeur…
Mathieu
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