Par Dany Rousseau
Dans la version de l’Odyssée de la bédéiste belge Judith Vanistendael, c’est Pénélope qui est absente et Ulysse qui attend. Pénélope est chirurgienne, mais depuis 10 ans elle quitte le cocon familial régulièrement pour participer à des missions humanitaires. Pratiquant la médecine de guerre, elle tente de sauver le monde dans des pays où l’on tente de le détruire. Maintenant affectée à Alep, Pénélope rentre auprès des siens à Bruxelles après chaque mandat pour une période de trois mois. Lors de ses retours, elle retrouve sa famille : son époux, sa fille Hélène qui a 13 ans, sa sœur jumelle et sa mère. Pénélope est entourée par une famille aimante, mais aux yeux de laquelle elle existe avant tout par son absence. Pour sauver des vies, elle a sacrifié celle qu’on attendait d’elle, soit épouse, mère, sœur et fille disponible pour les gens qu’elle aime.
Même si elle tente d’être complètement présente lors de ses passages à la maison, ses cicatrices et le fantôme d’une petite de l’âge de la sienne qu’elle n’a pas réussi à sauver lui rappellent toujours son autre vie. Pénélope se demande constamment si elle est une bonne mère. Elle sent sa fille s’éloigner d’elle. Lorsqu’Hélène a ses premières règles, elle se tourne tout naturellement vers sa mamie pour être rassurée.
Aussi, même si toute la tribu attend toujours Pénélope, la terre tourne pendant qu’elle sauve le monde et souvent Pénélope peine à monter dans le manège du quotidien qui ne s’arrête pas lorsqu’elle est à Alep.
Avec Les deux vies Pénélope (Le Lombard), l’auteure Vanistendael dépeint le portrait d’une femme qui a fait des choix atypiques qui ne sont pas acceptés par sa famille et plus largement par la société belge. Si on accepte ce genre de vie pour un homme, pour une femme les contours sont plus flous.
J’ai aimé ce récit sensible, poétique et humain. Il y a longtemps que je n’avais pas accroché autant à une bédé. L’habilité de l’auteure, ses talents de dialoguiste et l’évocation des non-dits sont touchants et habiles, tout en délicatesse. Nous nous mettons facilement dans les chaussures des protagonistes et la vague émotive qu’amène cette vie meublée d’absence et de retrouvailles nous interpelle. Me touchant particulièrement, cette vie de famille singulière nous sort du modèle nucléaire. L’aquarelle et la légèreté dans le dessin contribuent aussi fortement à s’attacher au clan de Pénélope auquel on aurait presque envie d’appartenir, car malgré les tensions, on sent que l’amour entre eux est tissé serré comme le grand voile de son homonyme du récit d’Homère.
8.5/10
Les deux vies de Pénélope
Auteur : Judith Vanistendael (dessin et scénario)
Éditeur : Le Lombard
160 pages