Prosélytisme et morts-vivants
Par Dany Rousseau
Ouvrir un nouveau Lapinot est toujours une expérience ambiguë. À chaque fois, nous ressentons un mélange de joie et d’angoisse. Le bonheur de retrouver les dialogues déjantés de Lewis Trondheim, mais aussi l’inquiétude de tomber sur « le Lapinot de trop ». C’est-à-dire l’album qui nous fera dire : « Ok Lewis, je crois que tu as fait le tour ».
Depuis la résurrection de son personnage fétiche en 2017, l’auteur revient annuellement avec un nouvel opus. Dans le dernier Prosélytisme et morts-vivants (L’Association), Lapinot et son inséparable ami Richard sont plongés encore une fois dans une histoire abracadabrante. À la suite à d’un pari stupide, Richard sera obligé d’accompagner Lapinot dans son bénévolat qu’il exécute pour le compte de Brieg Verlat, un personnage inclassable chargé par le gouvernement de visiter chaque commune française afin d’y mettre sur pied des temples consacrés au culte de l’athéisme !
Le trio débarquera dans le village de Saint-Brouilly où Richard et Lapinot devront distribuer des tracts pour Verlat. Celui-ci essaiera de convertir les habitants à l’athéisme grâce à un pouvoir de persuasion hors du commun et ses talents de judoka.
En parallèle de la mission étrange de Verlat, Richard, le grand déconneur, malgré sa volonté de respecter son pari perdu, lessivera les longues oreilles de Lapinot avec son nouveau scénario. Convaincu qu’il vendra enfin l’une de ses idées débiles à un riche producteur, Richard demande à son pote lagomorphe de l’aider à combler les « incohérences » avec son idée de scénario bancale impliquant des zombies qui poursuivent en voiture des survivants post-apocalyptiques.
Prosélytisme et morts-vivants est-il le Lapinot de trop ? Heureusement non. Richard est toujours aussi hilarant et immature et Lapinot toujours aussi moralisateur. Les dialogues absurdes, les situations sans cul ni tête et les gags pipi – caca métaphysiques qui ont fait le succès de cette série sont encore efficaces. On observe ici une vieille mécanique bien huilée qui tourne rondement et nous amène où nous voulons aller. Trondheim l’auteur hyperactif ne se réinvente pas, mais il nous donne avec grand plaisir ce que nous attendons de lui. De plus, à travers son humour potache, Trondheim réussit encore à nous poser des interrogations existentielles : le prosélytisme est-il une perte d’humanité du convaincu qui veut convaincre ? Le fanatisme, qu’il soit religieux ou athée, comporte-t-il les mêmes travers détestables ? Si les zombies roulent en voiture, sauront-ils faire le plein ?
Trondheim reste encore l’un des rares auteurs qui me permettent de rire bien fort durant une lecture, ce qui est pour moi le gage d’une bédé réussie. Pour les inconditionnels de l’auteur comme moi, ce nouveau Lapinot peut être acheté sans crainte. Trondheim n’est pas encore arrivé au bout du processus. Croisons à nouveau les doigts pour le prochain.
7.5/10
Prosélytisme et morts-vivants
Auteur : Lewis Trondheim
Éditeur : L’association (2020)
Thérapie de groupe
Jean-Eude de Cageot-Goujon, mieux connu sous son pseudonyme de Manu Larcenet, fut le plus grand bédéiste de la planète. Il y a encore quelques mois, les éditeurs s’arrachaient ses manuscrits et les starlettes dormaient sur le pas de sa porte.
Aujourd’hui, c’est le trou noir. Manu Larcenet est paralysé devant sa page qui reste blanche. Thérapie de groupe (Dargaud) le tout dernier opus de Manu Larcenet, l’autre, le vrai. Dans ce voyage autofictionnel hilarant et émouvant, l’auteur cherche l’idée du siècle. Confiné alors que sa famille vaque à ses occupations, son manque d’inspiration lui fait frapper le mur de la solitude et de la dépression. Larcenet cherchera chez Nietzsche, dans l’histoire de l’art, dans les muses et dans les psychotropes l’étoile qui naîtra de son chaos intérieur.
Larcent et son immense talent réussissent encore une fois à nous toucher en plus de nous faire bien rire avec ses gags décalés, sa répartie efficace et son autodérision dévastatrice. Faisant se côtoyer l’inspiration artistique et la maladie mentale, Larcenet nous fait réfléchir sur la création et son importance salutaire pour le créateur. Premier tome d’une série qui s’annonce prometteuse, où l’auteur jongle avec différents styles graphiques, Larcenet démontre encore qu’au contraire de son alter ego, il n’est pas en panne d’inspiration et qu’il est encore une valeur sûre de l’univers de la bande dessinée francophone.
8.5/10
Thérapie de groupe
Auteur : Manu Larcenet
Édition : Dargaud (2020)