Par Dany Rousseau:
Martha Cannary alias Calamity Jane reste un personnage singulier dans l’histoire de la conquête de l’Ouest américaine. On démêle difficilement le vrai de la légende de cette femme qui vécut parmi les hommes et laissa une trace historique indélébile dans les grands espaces de la « Frontière ».
Avec le premier tome de leur série Wild West (Dupuis), le scénariste Thierry Gloris et le dessinateur québécois Jacques Lamontagne nous proposent leur version de la grande dame du Far West née en 1850 dans le Missouri et décédée, isolée et alcoolique, en 1903, dans le Dakota du Sud. La bédé s’ouvre sur les décors à couper le souffle de Lamontagne. La « Monument Valley » s’offre à nous en laissant apercevoir un chariot roulant dans la plaine. En 1850, les pistes sûres vers l’Ouest sont rares. Ces contrées occupées par les Amérindiens et fréquentées depuis des décennies par les trappeurs canadiens-français sont surtout parcourues par des voleurs de grand chemin.
Alors que la petite famille de pionniers fait halte pour la nuit, que le père assis près du feu de camp joue du banjo pour ses enfants et sa femme, un trio apocalyptique de desperados surgit du néant et assassine tout ce beau monde pour les détrousser de leurs pauvres possessions. Ce massacre gratuit donne le ton à la série. Cette version du « Far West » de Gloris et Lamontagne en est une remplie de violence et de barbarie. Les magnats du chemin de fer véreux, les roitelets locaux décadents, les joueurs de poker arnaqueurs et les chasseurs de prime se côtoient dans des villes champignons perdues. Chaque individu est prêt à tout pour arracher son lambeau de rêve américain. Au bas de l’échelle sociale se trouve bien entendu les prostituées, des filles n’ayant pas eu de chance, recueillies par des tenanciers de saloon davantage proxénètes qu’honorables aubergistes.
À Omaha city, future métropole du Nebraska, dans le saloon du répugnant monsieur Hicks, maître de la ville et taxidermiste amateur, le lecteur rencontre Martha Cannary, orpheline dont la tâche au Red Fox Saloon se limite à changer les draps souillés des clients paumés. N’ayant que l’intégrité comme seule richesse, la jeune fille sera toutefois vite contrainte par son patron (représenté avec des traits légèrement « trumpien ») vers la voie de la prostitution, histoire de rembourser ses dettes. Obligée de servir d’amante de passage à des cow-boys sordides ou des ouvriers de chemins de fer pouilleux et soumise à l’humiliation et la violence, nous comprenons vite que la jeune Martha se métamorphosera en Calamity Jane héroïne de l’Ouest. Toutefois, dans ce premier volet on se consacre plutôt à Martha pour expliquer Calamity qui sera l’objet du tome 2.
Le Western étant un thème classique de la bédé, on cherche souvent à le réinventer. Gloris et Lamontagne, qui devaient sortir un album ayant pour trame la France du XVIe siècle, ont changé subitement de cap alors que Gloris est tombé par hasard sur une énième diffusion de Il était une fois dans l’ouest de Leone. La poussière, le soleil qui tape, la violence sans concession, les gueules magnifiquement imaginées par Lamontagne sont en effet très « leonnienne » et nous aimons. Nous aimons aussi cet aspect féminin donné au récit qui devait se concentrer d’abord sur le personnage de Wild Bill Hickok, le célèbre chasseur de prime, mais qui bifurqua vers le personnage de Martha Canary. Gloris affirmera qu’il fut influencé par les évènements des dernières années et de la vague féministe qui s’en suivit.
On ne criera pas à la révolution du genre, mais l’aspect profondément humain et social de ce western le fait se démarquer des autres. Ses personnages typés, sa trame narrative claire, ses dessins somptueux font de Wild West un éventuel futur classique si la tendance se maintient.
8.5/10
Wild West ; Les origines d’une légende de l’Ouest, Calamity Jane, tome 1
Auteur : Thierry Gloris (scénario) Jacques Lamontagne (dessins)
Éditeur : Dupuis (2020)
56 pages